Face au mur des faillites d’entreprises · Comment mieux protéger les salariés ?
Franck Morel, avocat associé chez Flichy Grangé avocats, et Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More
La France se dirige vers un mur de faillite d’entreprises et de chômage en 2021
Les conséquences économiques de la crise sanitaire vont être extrêmement dures dans les prochains mois. Euler Hermes, numéro un mondial de l’assurance-crédit anticipe une explosion des défaillances d’entreprises (plus de 60 000 défaillances, +32% par rapport à 2020). Quant au chômage, la Banque de France table sur un taux frôlant les 11%, avec 750 000 emplois détruits cette année.
Le régime de garantie des salaires : un système efficace et singulier
Pour faire face à cette réalité préoccupante, la France dispose heureusement d’un amortisseur social peu connu : le régime de garantie des créances des salariés, piloté par l’AGS (Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés). Constitué au fil des décennies par un patronat soucieux de solidarité autant que de stabilité économique, ce système ingénieux intervient quand une entreprise se trouve en procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) et n’a pas les fonds disponibles pour payer les salaires. L’AGS se substitue alors à l’entreprise et règle ces sommes aux salariés. Cette intervention est financée de deux manières : une cotisation patronale (de 0,15%) et par la créance que l’AGS prend sur l’entreprise, en lieu et place des salariés. A charge pour elle d’obtenir les remboursements de l’entreprise. Le système est efficace (1,5 milliard d’euros avancés, 182 000 bénéficiaires en 2019) et rapide (98% des avances sont versées à J+5). Il est aussi indolore pour la collectivité puisqu’il ne coûte rien à l’État, ni aux salariés. Il n’a pas d’équivalent en Europe.
Un projet de réforme qui impacte les salariés et qui déstabilise le régime
Le régime de garantie des salaires tient grâce au superprivilège dont jouit l’AGS puisque celui-ci lui permet d’être en haut de la liste des créanciers de l’entreprise. Les remboursements qu’elle obtient représentent 25% de ses ressources. Mais un projet de réforme, actuellement discuté au ministère de la Justice, met en péril tout l’édifice en menaçant de rétrograder ce superprivilège du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers. Mécaniquement, l’AGS verrait réduire les remboursements qu’elle parvient à récupérer puisqu’elle passerait après d’autres créanciers (administrateurs de justice et banques). Pour faire face à une telle baisse de ses ressources, l’AGS n’aurait que trois options possibles, qui impacteraient toutes les salariés : réduire le périmètre de prise en charge de l’AGS (ce qui réduirait le montant des sommes perçues par les salariés), exclure certaines créances du champ de la garantie de l’AGS (ce qui aurait le même effet) ou augmenter les taux de cotisation des entreprises à l’AGS (ce qui constituerait un alourdissement du coût du travail, défavorable à l’emploi).
Refuser la déstabilisation du régime de garantie des salaires et renforcer au contraire notre modèle de protection du monde du travail
On comprend mal ce qui motive une telle réforme dans le contexte économique que nous connaissons. Il faut au contraire renforcer le régime et l’améliorer encore. C’est le sens des cinq propositions que nous formulons dans la note, qui visent à réaffirmer le caractère fondamental et inamovible du superprivilège du régime, élargir le champ d’intervention de l’AGS à des mesures de reclassement des salariés et dans les procédures préventives, ouvrir la protection aux indépendants, malmenés par la crise et sécuriser le système par le plafonnement des sommes indemnitaires prises en charge par l’AGS. Nous appelons les décideurs publics à se saisir de ces propositions, à les discuter et à leur donner force de loi.
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